Une composition musicale pour la scène de Jean-Léon Pallandre.
Commande et production du GMEA, Centre National de Création Musicale d’Albi-Tarn, avec le soutien de l’Etat.
Co-production Centre Culturel André Malraux, Scène Nationale de Vandœuvre.
En partenariat avec la plate-forme de recherche Virage.
Spectacle créé à Albi le 25 mars 2010 dans le cadre des « Journées Électriques » organisées par le GMEA.
Genèse
La création du Courage est le point de rencontre d’une histoire personnelle, de l’attente d’un producteur, et des compétences et engagements propres d’une équipe artistique.
Mon cheminement artistique personnel a toujours été à la croisée des disciplines. Formation universitaire et expérience en travail social, formation professionnelle et expérience en arts de la scène, formation de conservatoire et expérience en composition musicale, c’est toujours au carrefour de l’image sonore et du geste vivant que j’ai défriché mon terrain d’expression artistique. J’ai inventé (après d’autres) la phonographie comme acte d’écriture musicale fondé sur l’écoute et la transposition du réel audible. La phonographie est l’art de capter l’énergie sonore, d’en graver l’empreinte et d’en composer l’image, pour ensuite mettre en jeu et en espace des événements sonores imaginaires. Pour moi, ce terme synthétise tout le processus artistique de création d’une expérience d’écoute par le biais des outils de captation, transformation et diffusion sonores. Le microphone, comme les haut-parleurs sont les instruments d’une expérience poétique. Il ne faut pas sous-évaluer le patient et méticuleux travail de composition qui s’opère à ce niveau.
Pour Le courage, le dispositif de prise de son mis en œuvre a ouvert un champ d’exploration nouveau. L’hexaphonie est une technique de prise de son où six micros captent de façon égale l’énergie acoustique provenant autant de l’avant que de l’arrière ou des côtés de l’auditeur. Le corps entier est baigné de son, l’écoute en est transformée, et l’espace devient le matériau même de l’écoute : de contenant, ou véhicule qu’il semblait être, il devient comme la pâte sonore elle-même. Le son n’est plus « dans l’espace », il est espace, l’espace est proprement sonore. Toute l’écriture en est profondément affectée. Le temps n’est plus le même.
Or, cette nouvelle technique de prise de son et de diffusion sonore offre au corps entier, dans son rapport à l’espace, d’être engagé dans l’acte d’écoute. La sensation auditive devient sensation physique d’un « corps au monde ». C’est cette veine d’exploration artistique que Le courage va résolument creuser, car elle entre en totale sympathie avec mes préoccupations du moment : celles qui se sont développées au fil de mes implications dans des projets de création en relation à la danse ou au théâtre.
Ainsi je prends le parti d’une écriture qui, s’adressant au corps du spectateur, recourt elle-même à l’engagement corporel de l’acteur musicien. Donner à voir autant qu’à entendre, donner à ressentir cette corporéisation (j’emprunte ce terme à Merleau-Ponty) de l’acte d’écoute, tel est le pari du Courage. Dans cette visée, le développement du travail est résolument axé sur la conception et la sculpture d’événements à entendre, le terme événement étant à comprendre dans son sens le plus large, pouvant, selon les décisions prises, justement faire appel ou faire silence de ses dimensions scénique, visuelle, gestuelle, vocale, lumineuse, théâtrale, etc.
À ce niveau, c’est sur le dispositif technique d’interaction entre le mouvement du corps et la conduite du son que s’appuie l’essentiel du travail au plateau. Comment la présence corporelle, son placement, son déplacement, son mouvement, doivent-ils être reliés à certains contrôles de l’interprétation du son, pour que le geste d’écoute en soit enrichi, nuancé, approfondi ? Quels modes de relation entre le mouvement du corps et la vie du son faut-il écrire ? Rapports de causalité, rapports de redondance, rapports de connotation, rapports de distanciation, de congruité ou d’incongruité… Ou bien encore relation kinesthésique à un volume d’air en vibration ? Ou relation d’intention, mais alors, intention de l’acteur sonnant ou d’un acteur écoutant ? Autant de pistes incroyablement riches et complexes, dont Le courage explore les accès, en dix tableaux, comme dix ouvertures.
Ainsi Le courage est-il le point de rencontre d’une démarche personnelle qui se soucie de la réalité spatiale et corporelle de l’acte d’entendre, de l’attente d’un producteur qui développe une recherche sur « les écritures du sonore dans le domaine du spectacle vivant », et des compétences et engagements propres d’une équipe artistique qui développe des outils de captation, d’écriture et de diffusion sonores, ainsi que des outils d’écriture interactive.
Présentation
« Le courage, c’est vivre à la lisière, la forêt dans le dos et l’océan devant soi. La témérité serait de plonger et nager. La peur nous ferait rentrer dans la forêt, y chercher un abri. Le courage, c’est vivre à la lisière, l’océan dans le dos, et la forêt devant soi. »
L’argument du spectacle Le courage ne pouvait être que cette vertu de l’âme qui échappe aux confessions pour enfin habiter sa solitude. Le courage procède d’une lucidité, et la lucidité est dans l’intervalle.
Qu’est-ce qu’entendre ? C’est s’éprouver comme corps au monde, accueillir en soi sa propre vibration à l’air modulée. Se savoir pétri sans fin de mouvement d’air. Vivre à la frontière, vivre à la lisière.
Quelle plus belle occasion d’allégorie subtile du geste d’entendre que l’apologie discrète de cette vertu, le courage ? Le courage tout à la fois s’élance hors de soi et rassemble son être tout entier. Le courage est hors des raisons, il est action d’airain, présence pure. Il fait et fait advenir, là où l’allégeance à toute taxinomie contrefait et stérilise.
Écrire et bâtir sur le courage, par allusions voilées, c’était m’offrir à coup sûr le matériau adéquat à la matière du spectacle : le corps au monde. Dans Le courage, je vise à mobiliser l’écoute en un partage de la simple épreuve du corps à l’espace.
Ce seront alors dix tableaux, comme les assauts de dix moulins à vent, proposant chacun une configuration originale et un développement spécifique de la relation du corps à l’espace sonore. Cette exploration se construit en appui sur les outils que sont le dispositif de spatialisation du son et le dispositif d’interaction gestuelle, et parallèlement l’écriture du spectacle déploie, en un cheminement progressif divers registres de la présence au monde, corporelle, gestuelle, oratoire, humaine… Pour un acteur « trempé dans du son ».
Jean-Léon Pallandre.